UNE VÉRITÉ QUI NE SE PRÊTE PAS A LA POLÉMIQUE EST UN MENSONGE
De l’art de l’approche
A l’issue de l’assemblée annuelle le PDG de Renault poursuit les débats par des « échanges en direct » au cours de la réception (le cocktail) qui clôt l’Assemblée Générale des actionnaires. Quel fut le sésame ( ?) qui le vendredi 15 juin 2018, me permit d’ouvrir un très bref échange avec le PDG de Renault. Le temps d’avoir la confirmation que sa réputation de joueur n’est pas usurpée « votre question …on va vous expliquer … vous vous plantez… Je suis prêt à parier … », le monologue était clos non sans qu’une rencontre avec la Directrice délégué à la présidence ne soit envisagée.
C’est finalement en juillet qu’eut lieu cet entretien avec le Directeur Juridique du Groupe. La signature d’un accord de confidentialité sur lequel j’ai émis des réserves ne doit pas faire illusion quant au peu d’intérêt de cette réunion. Pouvait-il en être autrement compte tenu de l’appréciation portée, respectivement, de part et d’autre sur le regroupement des marques composant Renault et Nissan ?
L’Alliance RENAULT-NISSAN n’est pas un groupe, sauf
« L ‘Alliance avec 10,6 millions de véhicules vendus dans le monde « devient le numéro 1 mondial en termes de ventes de véhicules particuliers et véhicules utilitaires légers … »
Sauf si cette annonce est le signe avant coureur du rattachement des marques du « groupe Renault-Nissan-Mitsubishi » dans une seule et même division, cette affirmation n’a aucune justification pour présenter le bilan de Renault, ici celui de l’année 2017.
Les puristes pourraient, d’ailleurs, nous faire remarquer que la consolidation dans un même ensemble des ventes de Nissan avec celles de Renault va à l’encontre du discours officiel qui réfute toute idée de fusion. Cette pratique remet, également, en cause le dogme d’« une alliance d’un type unique, composée de deux entreprises distinctes »[1] et selon lequel, « en raison des particularités de l’Alliance … le patrimoine des deux groupes ne saurait être confondu … »[2]…
Sauf accident, en 2019 sera célébré le 20 ième anniversaire
… de l’alliance entre Renault et Nissan. Le pari fait par le précédent PDG de l’Entreprise d’unir Renault à Nissan est maintenant considéré comme une – presque – réussite. Elle sera
complète quand le délicat problème du passage de témoin entre Monsieur Ghosn et son remplaçant résolu. La tâche ne sera pas aisée, le plus difficile étant de se faire accepter par la partie japonaise, puisque derrière se profile le pavillon de l’ensemble ainsi constitué.
Tout ceci à fait l’objet de moult ouvrages, nul doute que d’autres auteurs trouveront encore de la matière pour donner prétexte à l’abattage de quelques arbres. Il sera difficile d’être original sur le sujet, mais la personnalité de son Président actuel ne devrait pas laisser insensible les amateurs de saga.
Laissons leur le plaisir de remplir « les pages people » et venons en à notre sujet : Quel anniversaire allons nous fêter le 27 mars 2019 ? A priori celui des 20 ans de l’accord cosigné par les deux parties et leurs témoins, dont il est dit
« Renault et Nissan ont choisi d’édifier ensemble une alliance d’un type unique, composée de deux entreprises distinctes liées par une communauté d’intérêts et unies pour la performance. Les mécanismes de l’Alliance ont été conçus pour veiller au maintien des identités de marque et au respect de la culture de chacune des deux entreprises »[3]
La notion de deux entreprises distinctes est soulignée avec force dans le document : « Dans les coulisses de l’alliance Renault-Nissan – Automobile_files Alliance Press Kit mars 2009, intranet Renault :
« Renault et Nissan sont des sociétés séparées dotées chacune de sa propre équipe de direction et de son propre siège social. Elles sont indépendantes l’une de l’autre. Leurs services d’ingénierie, de design et de marketing et leurs activités de fabrication (encore que ces dernières soient mises en commun sur quelques marchés étroits) sont tous autonomes»[4]
Mais, peut-on aller contre l’évidence et nier qu’une rupture soit intervenue en 2014, accentuée au 1er mars 2018, lorsque l’Alliance – élargie à Mitsubishi Motors – a annoncé le lancement de projets visant à accélérer la convergence d’abord à 4 puis à 9 fonctions clés avec la création de directions communes au sein de l’Alliance, sous l’autorité de son PDG.
« Dans ce cadre, une organisation renforcée des fonctions convergées est mise en place à compter du 1er avril 2018, chaque direction étant rattachée à M. Carlos Ghosn. Elle permettra d’optimiser les dépenses, de maximiser la mutualisation, de partager les technologies et les ressources ainsi que de simplifier les processus de décisions. Elle participera ainsi au renforcement de la performance et de la croissance des entreprises membres de l’Alliance, tout en respectant l’autonomie et les stratégies distinctes du Groupe Renault, de Nissan Motor et de Mitsubishi Motors »[5]
Fonction convergée
Renault et Nissan sont découpées en divisions, aujourd’hui neuf, regroupant les activités communes à l’un et à l’autre groupe. Une fonction convergée est donc le rapprochement dans une même structure d’une direction de R ou de N avec son homologue (miroir) de N ou de R. Ceci sous un même management. Le maillage des deux groupes (3 avec Mitsubishi) conduit à ce que
« La convergence de certaines fonctions ressort exclusivement d’une logique d’ordre industriel et ne s’accompagne pas d’une modification des structures juridiques ou a fortiori d‘une fusion entre groupes, Renault et Nissan conservant en l’espèce leur autonomie de gestion et de prise de décisions »
Le mixage des différentes fonctions communes aux partenaires est tel qu’un éclatement de l’Alliance serait fort ennuyeux, car si sur le papier, les deux constructeurs sont indépendants, l’entité commune qui sous la responsabilité directe de Ghosn regroupe et gère les fonctions convergentes, est en passe de se substituer à eux n’a pas à ce jour de définition juridique.
Une question d’appréciation : du spécifique au commun
« Renault et Nissan conservant en l’espèce leur autonomie de gestion et de prise de décisions » et « chaque direction étant rattachée à M. Carlos Ghosn » !!! Où sont les pouvoirs au sein de l’alliance ? Si à ce stade nous laissons l’épineux problème des participations croisées entre Renault et Nissan cette interrogation trouve sa source avec la mise en place en 2014 puis en 2018 des fonctions rapprochées et l’interprétation que l’on peut en tirer. En peu de mots, il se résume au rôle de la filiale commune RNBV qui selon le discours officiel (voir les réponses faites aux actionnaires AG 2018) se définirait ainsi
« RNBV n’assure aucun rôle opérationnel dans le domaine des fonctions convergées. Les décisions opérationnelles sont prises et mises en œuvre par chaque entreprise en ce qui la concerne, y compris pour les activités convergées ».
« La convergence de certaines fonctions ressort exclusivement d’une logique d’ordre industriel et ne s’accompagne pas d’une modification des structures juridiques ou a fortiori d‘une fusion entre groupes, Renault et Nissan conservant en l’espèce leur autonomie de gestion et de prise de décisions »
Pour une deuxième école, cette vision confrontée à la réalité du terrain met en évidence, au contraire, une perte d’autonomie des deux constructeurs, au bénéfice de la filiale RNBV
Explication de texte
A partir de 2014, si les pouvoirs attribués à RNBV n’ont pas évolués (ce qui reste à confirmer), le champ d’application sur lequel la filiale exerce son autorité n’est plus le même. Nous pourrions prendre ici l’image du « billard à trois bandes » Par le biais des fonctions convergées en sa qualité de PDG de l’alliance Carlos Ghosn « récupère » ce qu’il « perd » en sa qualité de PDG de Renault. Nous sommes donc confronter à un dilemme de taille : qui au sein de l’alliance possède le pouvoir de décision, la filiale RNBV ou l’un et l’autre constructeur automobile ? Ce point est sensible et fait polémique.
On en trouve un bon exemple à propos de « la R&D » donné dans le document de référence. Le principe d’organisation de la nouvelle ingénierie de l’Alliance (depuis le 30 janvier 2014 ndlr) repose sur :
un périmètre d’activités propre à chaque constructeur (Product Engineery) lui permettant ainsi de garder l’identité de ses produits
et sur un périmètre commun aux deux constructeurs (Alliance Technology Development), autour des activités pouvant être mutualisées. Ce périmètre commun est piloté par un seul leader (directement sous la responsabilité de C Ghosn (ndlr).
Tout est une question de nuance, d’équilibre, voire de vases communiquant : entre les activités d’ingénierie « spécifiques », à chaque constructeur et celles « communes » aux deux constructeurs, voire aux trois avec Mitsubichi où sont les périmètres ? Qui prend le pas ? Quels sont les ratios activités spécifiques/activités communes …..
Si nous nous projetons sur le plan « Alliance 2022 », lancé en septembre 2017. Il repose notamment sur : quatre plates-formes communes sur lesquelles seront produits plus de neuf millions de véhicules (sur un total de 10,6 millions de véhicules vendus ndlr) ; une plus grande proportion de motorisations communes – d’un tiers en 2016 à trois quarts de moteurs partagés en 2022. On comprendra que le périmètre spécifique se réduira à peu de choses : la pose du logo ? Dans une autre formulation, RNBV réfléchit et prend les décisions, au nom de l’alliance, qu’elle demande à l’un ou à l’autre marque de mettre en œuvre. Dans ce cadre par petites touches, RNBV voit le périmètre d’activité sur lequel elle exerce ses prérogatives s’agrandir régulièrement. La perte d’autonomie que traduit le transfert des centres de décisions vers RNBV infirme les propos tenant à une continuité dans la gouvernance de l’alliance depuis ses origines. Si nous pouvons considérer que le « petit mensonge » relevé sur la notion de groupe est un problème d’égo, le rapprochement des directions opérationnelles est d’un autre niveau. Ce terme est souvent galvaudé mais la stratégie mise en place par Monsieur Ghosn au début de 2014 est donc bien une remise en cause de l’accord du 27 mars 1999 qui a donné naissance à l’Alliance RENAULT-NISSAN.
En conclusion si le « renforcement de l’Alliance accélère le développement du groupe binational Renault-Nissan, à vocation mondiale » l’actuelle stratégie conduit Renault s.a.s. à déléguer sa gestion opérationnelle à Renault-Nissan bv. Ni Renault s.a.s. ni Nissan Motor Co., Ltd. ne demeurent strictement indépendants, (et), elles ne peuvent plus être considérées comme deux sociétés distinctes. Ce transfert des centres de décisions vers RNBV remet en cause une Alliance Renault-Nissan bâtie sur « une alliance d’un type unique, reposant sur deux entreprises autonomes liées par une communauté d’intérêts »
Contrairement au discours officiel, nous sommes dans un processus de fusion au moins technique. Le pari de Mr Schweitzer le prédécesseur de Monsieur Ghosn était d’obtenir les mêmes résultats mais dans un tout autre cadre celui où « Renault s.a.s. et Nissan Motor Co., Ltd. demeurent strictement indépendants ». Notons au passage un glissement sémantique non dénudé d’importance à propos du rapprochement des fonctions convergées. Certes la fusion est toujours récusée, mais « La convergence de certaines fonctions ressort exclusivement d’une logique d’ordre industriel ».
L’opportunité d’une telle stratégie n’est pas en question. Ce dont nous parlons c’est de son impact sur les relations au sein de l’alliance et sur l’équilibre entre les pouvoirs respectifs de Nissan, Renault et leur filiale RNBV. Tout à chacun peut avoir son avis. Certains diront que « la fin justifie les moyens ». Il est vrai que les résultats plaident en faveur du PDG de Renault et qu’il ne saurait être question de les négliger. Si le regroupement des marques de Renault, de Nissan et de Mitsubishi ne permet pas d’écrire que cette union est le premier groupe automobile mondial en terme de ventes, en matière de fabrication la chose est plausible.
Pour autant, en espérant que cela ne tourne pas à la paranoïa, pour quelles raisons faudrait-il s’interdire de toute remarque ? Cela a déjà était écrit, Carlos Ghosn construit un mutant qui peut lui échapper. Le rapprochement des fonctions convergées de Renault et de Nissan sur une base juridique non consolidée est dangereux. C’est d’autant plus vrai pour Renault que les gages donnés à la marque japonaise fragilise la française. Sur ce point on pourrait citer la marginalisation du losange, voire l’indépendance de Nissan vis-à-vis de sa maison mère.
Ce double langage est inquiétant. Cette réponse est démentie par les documents officiels et par les faits. Contrairement aux prises de positions officielles et en particulier aux déclarations du PDG de Renault, depuis 2014 la politique suivie s’éloigne des principes fondateurs de l’Alliance. La contradiction manifeste entre les discours et la réalité fait peser un doute sur la sincérité sur la gouvernance de l’alliance.
Aussi lorsqu’en réponse à une question sur la fusion (réponses aux questions écrites AG 2018) il est répondu ce qui suit :
Renault-Nissan b.v. (« RNBV ») assure un rôle d’impulsion et de coordination des actions engagées dans le cadre de l’Alliance. RNBV n’intervient pas dans la gestion opérationnelle de Renault ou de Nissan, et n’a pas vocation à participer aux profits ou à supporter les risques associés.
La tactique de Carlos Ghosn pour pérenniser et assoir son emprise sur le regroupement des marques de Renault et de Nissan, improprement dénommé Alliance » est un subtile mélange de trois jeux : le go, les échecs et le bridge. A défaut de mettre mat dans un premier temps, de débarquer, l’Etat français son actionnaire de référence, il fait le mort, voire accepte le nul. Pour marquer et redessiner son territoire, progressivement il déshabille Renault et Nissan au bénéfice de RNBV, avant de porter l’estocade et de réaliser le grand chelem : mettre mat son actionnaire de référence et prendre le pouvoir.
Ceci peut prêter à sourire. Le simple fait de rappeler l’épisode sur le vote des droits de vote double et sa conclusion en décembre 2015 : le Conseil d’Administration de Renault et son PDG prenant fait et cause pour Nissan au détriment des intérêts de Renault, devrait faire réfléchir.
Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup
Pour conclure et revenir sur l’objet de cette réunion du 5 juillet. En réponse à mes interrogations sur les actionnaires de RNBV et le versement éventuel du bénéfice il est répondu (réf réponse aux questions des actionnaires) :
Les résultats dégagés par RNBV sont généralement portés en réserve et non distribués sous forme de dividendes. A titre d’exemple, le résultat net après impôt de RNBV au titre de l’exercice 2016 s’élève à 3.732.000 euros. Ce montant a été mis en réserve. Il n’a pas été distribué à Renault et Nissan.
Ce qui laisse entier le versement, éventuel aux actionnaires de RNBV.
La succession est ouverte
Enfin il reste un point « très dur » l’avenir des relations entre Renault et Nissan. De la trajectoire suivie par ces deux constructeurs, depuis que Monsieur Ghosn est devenu PDG il en est beaucoup question. A priori la répartition des participations croisées et l’accord de 1999 donne la prédominance, à Renault. Plusieurs indices laissent à penser qu’un « rééquilibrage « du rapport de forces » est envisageable, sur la base d’arguments douteux.
L’un des plus souvent évoqués concerne le déséquilibre, au détriment de Renault du nombre de véhicules vendus. Les performances respectives de l’un et l’autre groupe sont mises en avant pour « accabler » la firme de Billancourt. C’est oublier un peu vite une réalité : l’absence du Losange du marché de l’Amérique du nord (US et Canada) et jusqu’à une date récente de la Chine. Contrairement à sa société mère pendant des années Nissan a bénéficié d’une discrimination positive : représenter l’Alliance aux USA et en Chine, laissant à Renault des marchés plus difficiles.
Plus inquiétant l’attitude même de Monsieur Ghosn, « interpelle » un exemple : dans l’affaire du vote double sur les actions, bien que l’objet de la discorde n’existe plus avec la vente de ces actions,
Il y a quasi unanimité pour dire que le modèle mis en place depuis 1999 ne doit sa pérennité qu’à la présence de monsieur Ghosn, sous-entendu lui partit tout se délite. Ce qui n’est pas très aimable, au fond, pour notre PDG ; puisque cela signifierait que sa sortie est vouée à l’échec.
Monsieur Carlos Ghosn qui a pu apprécier la succession de son prédécesseur, aura à cœur de faire la sienne proprement. En prenant les commandes de l’Alliance en 2005 Monsieur Ghosn a hérité d’une situation dont il a été l’un des initiateurs et à laquelle il a souscrit en sa qualité de PDG de Nissan : Renault possède 43,4 % de Nissan, Nissan 15% de Renault. Toute autre équation, qui ne serait pas de ce niveau serait une forfaiture. Nous sommes dans un système qui ne laisse aucune ambiguïté : de fait Nissan est la filiale de Renault. Il est étrange qu’il se trouve au sein de l’Entreprise des bons samaritains pour remettre en cause le montage financier accepté par Nissan et son PDG, lequel pourrait rappeler une vérité historique[6] :
« En 1999 Nissan était pratiquement en faillite, avec une dette de 20 milliards de dollars – c’était le constructeur le plus endetté au monde à cette époque –, et ses résultats étaient minables, passez-moi l’expression, comparés à Toyota ou Honda, et ce non pas sur une seule année mais sur dix ans »
Cette parole d’un orfèvre situe la difficulté. Malignement ou imprudemment le ministre de tutelle a confié cette recherche au PDG de Renault en fonction. Quoi de plus naturel que de confier les clefs de la maison au cambrioleur ?
Claude PATFOORT LE 13 OCTOBRE 2018
Contact : http://www.renew-srta.fr/blog/
[1] Document de référence Renault, 2012
[2] Document d’activité 2017 page 32
[3] Document de référence Renault 2015 page 305
[4] Doc intranet RENAULT
[5] Document de référence 2017
[6] Carlos Ghosn, le 17 février 2016 devant une commission de l’Assemblée Nationale.